Série : « Peurs alimentaires » (2015-2016)

Ceux qui en mangent le plus sont ceux qui doutent le moins
Delphine Ciolek, encre sur papier, 2015
Amatrice de type actif, lorsque quelque chose me plaît, je recherche toujours quelle est son origine. J’apprécie davantage en comprenant les processus de création, production. Dans tout domaine, y compris alimentaire.
Ainsi, succombant à la mode culinaire qui sévit en France autour du burger depuis plusieurs années, je suis tentée de fermer les yeux sur les ingrédients qui le constituent pour uniquement en goûter les saveurs. Mais c’est plus fort que moi : les souvenirs de mes visites estudiantines d’entreprises agroalimentaires et d’exploitations agricoles remontent à la surface… D’où vient ce pain ? Et la farine qui le constitue ? Et le blé utilisé ? Agriculture intensive employant des pesticides à tour de bras ou raisonnée ? Quelles conséquences pour la santé, pour l’environnement ? Avec mes questions, je peux remonter quasiment toute la filière, et ce pour tous les ingrédients !
De là à m’inquiéter à tous les repas jusqu’à me rendre malade, il n’y a qu’un pas… Que je n’ai pas franchi, car plutôt que me laisser dominer par cette peur alimentaire, je me renseigne et choisis en pleine conscience.
Toutefois, mes interrogations restent en suspens. J’ai choisi de les illustrer à travers la série de 15 dessins « Peurs alimentaires ». J’ai utilisé la technique du feutre afin de représenter les interrogations (en rouge) qu’évoquent pour moi quelques produits alimentaires (en noir) : burger/frites, poulet, saumon, poisson blanc, crevette, huître, riz, salade, banane, fraise, pâtisserie, goûter pour les enfants, aliments pour bébé, eau et vin.
La ligne est claire, reprenant le code des schémas en biologie, avec des annotations. Ce type de représentation ne cherche pas à montrer la réalité dans ses moindres détails, contrairement au dessin d’observation, il exprime ici une volonté de démonstration : l’acte de manger n’est pas banal, il est issu d’un combat entre les peurs portant sur l’origine des produits et leur mode de production, la nécessité de s’alimenter et le plaisir de manger.
Plaisir qui transparaît à travers celui des mots, avec des titres humoristiques. Pour le dessin du burger/frites, « Ceux qui en mangent le plus sont ceux qui doutent le moins » fait référence au slogan publicitaire : « C’est ceux qui en parlent le moins qui en mangent le plus ». « La traite des crevettes » permet de relier la production de crevette à la thématique de l’esclavage des marins sur certains navires thaïlandais. « Saumon fumiste » ou le poisson qui n’est pas fiable sur sa qualité. « Chlordécona split » ou la banane dont la production a ravagé les sols des îles antillaises par l’emploi massif de chlordécone, insecticide interdit depuis 1990. « Gallus gallus contaminarus » soit le détournement du nom latin du poulet (Gallus gallus domesticus), dont la viande pourrait être moins saine que ce que l’on croit. « In vino veritas », où l’on apprend qu’on n’a pas toujours accès à la véritable composition d’une bouteille de vin ». « Huître crasseuse », qui joue sur l’appellation huître creuse et le fait que ce coquillage noble peut parfois renfermer de sacrées saletés (micro-plastiques).

Huître crasseuse
Delphine Ciolek, encre sur papier, 2016
J’ai accompagné ces dessins par le texte fictif « Extrait de mon journal de bord alimentaire ». Écrit sous la forme d’un journal intime, il relate quelques jours, peut-être les derniers d’ailleurs, de la vie d’une « névrosée de la malbouffe ». La narratrice, anonyme, y consigne les aspects alimentaires de sa vie. Au fur et à mesure des jours et des événements culinaires qu’elle relate, elle s’interroge de plus en plus sur ce qu’elle mange. Elle en vient à perdre sa raison, ses relations sociales et sa santé. Dans les dernières heures, il ne lui reste plus que ses peurs et sa souffrance.
Ecoutez l’ « Extrait de mon journal de bord alimentaire » ici :
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