Résidence artistique «Patrimoine et création» 2021

Fin 2020, j’ai proposé au Muséum d’Histoire Naturelle de La Réunion de mettre en valeur ses collections à travers un travail de recherche et de création, mêlant du dessin et de la gravure. Banco ! J’ai été retenue pour une résidence de 3 mois en 2021. Après plusieurs visites du muséum et de ses coulisses (la fameuse réserve) et une étude bibliographique, j’ai choisi de représenter une dizaine d’espèces animales à travers le filtre de la biodiversité :

  • Pour une espèce aujourd’hui disparue à la Réunion : gaufrage (linogravure sans encre), pour signaler l’absence de l’animal ;
  • Pour une espèce en danger critique d’extinction : linogravure « fantôme » (j’encre une première fois la plaque pour un test mais je ne la ré-encre pas ensuite) ;
  • Pour une espèce dont le statut est considéré comme vulnérable ou menacé : dessin au fusain (pour un effet noir et blanc) ;
  • Pour les autres espèces : dessin au pastel sec (en couleur, car tout va bien pour ces animaux-là !).

Mon objectif était de sensibiliser le spectateur sur le fait que certaines espèces présentes à la Réunion disparaissent. Toucher le public, c’est un premier pas dans la préservation de l’environnement ! Pour moi est un bon vecteur pour faire passer des messages. Quelque soit le sujet, je me documente beaucoup en amont, je multiplie les sources car c’est important pour moi de reposer sur des bases scientifiques solides et à jour. Si j’adopte un programme carré au départ, ensuite, je m’adapte ! Aux conditions matérielles, aux lieux et aux rencontres que je fais…

Encrage au rouleau / Epreuve d’essai

J’ai mis en scène les animaux par groupe d’espèces (par exemple les oiseaux marins ensemble, les crustacés d’eau douce, etc…) dans des décors inspirés du Jardin d’Etat et de l’intérieur du muséum (j’ai craqué pour le carrelage en damier noir et blanc du premier étage !).

Résultat : 11 œuvres mix media, de format 24×32 cm, qui ont été exposées en janvier 2023 au muséum.

Poissons d’eau douce
Delphine Ciolek, mix media, 2021
Odonates
Delphine Ciolek, mix media, 2021
Rhopalocères
Delphine Ciolek, mix media, 2021

Plusieurs beaux moments lors de cette résidence, dont la découverte en avant-première de « Pieter Boel, la ménagerie de Louis XIV », avec Sonia Ribes, co-commissaire de l’exposition temporaire, qui a accueilli 29 dessins de ce peintre animalier prêtés par le Musée du Louvre. Et surtout, les ateliers de découverte de la gravure que j’ai donnés à des groupes d’enfants et des duos enfant-parent : un vrai instant de partage et de plaisir !

Dessin dans le muséum / Essuyage de la plaque / Presse de Chartreuse

J’en profite pour remercier ici le Directeur du Muséum, Gaël Potin, qui a cru en mon projet, Alain Valliamé, médiateur culturel, qui m’a bien aidée pour la logistique, ainsi que toute l’équipe du Muséum pour leur bonne humeur !

Plongée intérieure

Traverser ses émotions, pour ne pas se laisser submerger par elles, ne pas se faire absorber par leurs vagues incessantes ou leurs torrents déchaînés. Les traverser à la nage, seul.e face à elles, avec tout son bagage (palmes, masque, tuba, et aussi l’accueil, l’acceptation). Pour ne pas se noyer, pour rester soi-même.

Cela vous paraît difficile ? C’est normal, ce n’est pas évident, cela s’apprend. Plongez avec moi, je vous ouvre le chemin !

Soudain patatras
Vu de loin c’est la cata
Traverse sans peur

Tu peux t’en sortir
Ceci n’était qu’un leurre
A toi de jouer

Expérimente
Tente et va en confiance
L’univers veille

Patatras
(collage et peinture numérique, 2022)
Quel leurre est-il ?
(collage et encre, 2022)
Niveau 1 (confiance à 20 mètres)
(collage et encre, 2022)

Chacun des trois haïkus est illustré par une technique mix média : encre et collage.

Je me suis inspirée du monde aquatique, en ré-utilisant tout simplement un papier cadeau que j’avais mis de côté depuis un an. Entre coloriage, découpage et collage, j’ai retrouvé mon âme d’enfant !

Exposition Intérieurs/Extérieurs

Dès le titre de l’exposition, le ton est donné : les deux séries Intérieurs et La Réunion aquatique sont présentées en opposition l’une de l’autre.

Le noir et blanc très graphique de la première contraste avec les couleurs du pastel sec de la seconde, qui viennent assouplir la routine mécanique du quotidien et animer l’appartement qui semble figé.

Le choix du format est également significatif : pas plus grand qu’une carte postale pour les vues de l’intérieur. Un bout de pièce, un focus sur un meuble ou un détail de l’évier : l’espace est étriqué entre les quatre murs où l’artiste s’est retrouvée confinée au début de la crise sanitaire Covid-19. Au contraire, les vues aquatiques s’étalent sur un format 24×32 cm. On pourrait imaginer qu’ils figurent sur des feuilles bien plus grandes, mais encore aurait-il fallu en avoir en stock à ce moment…

Si l’œil se cogne aux lignes géométriques du logement jusqu’à donner une vision floue, il se projette vers l’horizon à travers les paysages réunionnais. De l’eau, de l’air. Du mouvement, du renouveau. Un vent de fraîcheur pour sortir de l’ordinaire en vase clos que nous a offert une partie de l’année 2020.

Enfin, on peut remarquer la quasi-absence de trace humaine dans les panoramas extérieurs. A peine un panier et un paréo sur la Plage de la Saline, une maison isolée dans Bassin Manapany. La beauté de la Nature peut engendrer une certaine solitude. Et dans ces moments-là, rien ne vaut le confort de son petit chez-soi.

Alors, plutôt Intérieurs ou Extérieurs ?

La crise de l’écran vide

L’appel à projets du concours Art and Act 2020 m’a tout de suite inspirée avec son thème « Opening windows onto communauties« , qu’on peut traduire par « Ouvrir des fenêtres sur les communautés ».

Il est vrai qu’en 2020, plus de 3,4 milliards de personnes, soit la moitié de la population mondiale, ont été confinées ou appelées à rester chez elles dans quasiment 80 pays, selon l’AFP. Pour beaucoup, les fenêtres sont devenues le seul moyen de regarder le monde. Tant les fenêtres sur rue ou sur cour que celles des écrans.

Ma fenêtre à moi donnait sur un paysage de vergers, avec très peu de passage de voitures et quelques joggeurs et promeneurs de chien. Je me suis donc concentrée sur celle de mon écran d’ordinateur. Car j’ai passé mes journées devant : des RV et des réunions à gogo ! Professionnels comme personnels.

Je me suis demandée ce qui se passerait si je pratiquais la politique de la chaise vide. Ma vie sociale allait-elle fondre comme neige au soleil ? Et si les gens finissaient par disparaître à force de rester vissés sur leur chaise, hypnotisés par leur écran ?

Empty screen crisis
Delphine Ciolek, mix media (acrylique, encre, pastel sec, papier calque),
2020

Un écran d’ordinateur affiche la fenêtre d’un outil de communication Internet, rendu populaire lors du confinement de début 2020. Les participants d’une réunion semblent translucides, esquissés sur du papier calque. Les intérieurs de leurs appartements présentent un mobilier contemporain similaire, bien qu’ils viennent de pays différents. Le spectateur est invité à la réunion : allez-vous la quitter, comme le suggère le pointeur de la souris, avant de disparaître et de vous fondre dans cette communauté de fantômes anonymes ?

Intérieurs

Dis-moi où tu vis, je te dirai qui tu es.

Notre habitat révèle en effet une part de notre personnalité, de nos aspirations, de notre niveau social. Vivez-vous dans un appartement, une maison ? Un camping-car, un mobil-home, un squat, une cité U, une caserne ? En solo, en couple, en famille, en coloc’ ? Par choix ou par dépit ? Vous vous sentez chez vous, en mode home sweet home, ou trop à l’étroit, voire trop grand ?

La période de confinement / couvre-feu nous impose de rester davantage chez nous, et ce pour notre plus grand plaisir ou notre plus grande peine. C’est comment pour vous ?

Evier, Bureau, Bibliothèque
Delphine Ciolek, encre sur papier, 2020

Mon appart’ et moi, on est en phase. Murs blancs, des petites touches de couleurs, sobre et fonctionnel. Pendant ces derniers mois, j’ai eu l’occasion de beaucoup le fréquenter. Et lorsque le déconfinement s’est produit en mai dernier, il m’a manqué, je l’avoue.

A travers la série « Intérieurs », je dresse en dix dessins format carte postale le portrait de mon logement. Traits fins à l’encre noire, pas d’ombre portée, l’aspect géométrique saute aux yeux, révélant un certain souci du détail et de précision.

Salle de bain, Garde-manger, Chambre
Delphine Ciolek, encre sur papier, 2020

C’est une sorte d’hommage à ce lieu qui m’accueille depuis presque trois ans. On n’est pas toujours obligé de voyager loin pour trouver l’inspiration ! Et puis, autant qu’on reste en de bons termes, mon intérieur et moi, car qui sait ce qui se profile pour l’avenir ?

La Réunion aquatique

Série de dessins au pastel sec (2020)

Il fait chaud, il fait beau, le ciel est bleu… N’est-ce pas une incitation à piquer une tête ? Si en ces temps de confinement, sortir physiquement n’est pas autorisé, il reste heureusement la possibilité de s’évader mentalement !

Plage de la Saline
Delphine Ciolek, pastel sec, 2020

Etes-vous plutôt eau salée ou eau douce ? Eau calme ou eau vive ? Grande plage fréquentée ou petit bassin niché dans les hauts à l’abri des regards ? Bleu lagon ou rosé piscine ?

Bassin Bras d’Oussy
Delphine Ciolek, pastel sec, 2020

Sentez-vous la fraîcheur de l’eau coulisser sur votre peau ? Entendez-vous l’écoulement joyeux de la rivière ? Nul besoin d’attestation de sortie, je vous emmène avec moi sur les chemins de la Réunion aquatique !

La piscine, reflets
Delphine Ciolek, pastel sec, 2020

Bonne baignade !

Exposition Où sont les femmes ?

Durant tout le mois de mars 2020, j’expose des dessins à la Bibliothèque Universitaire Sciences de Saint Denis (La Réunion).

La thématique de la femme se trouve au cœur de mon travail : que ce soit dans la série Bustes coupés, la série Arabesques féminines ou le triptyque « Non ! ». Des femmes, oui, mais dont le corps n’apparait jamais en entier. Soit on ne voit pas leur tête, soit leurs formes sont cachées dans des arbres, soit ce sont des mannequins mutilés. Des femmes qui ne seraient pas vraiment là alors ? Ce que j’ai souhaité montrer ici, c’est l’oppression des femmes, qu’on empêche de parler ou qui sont obligées de cacher une partie d’elle-même pour exister.

A travers le pastel sec et le fusain, une certaine douceur émane des dessins, comme pour atténuer la violence subie par ces femmes. La linogravure est au contraire une technique plus tranchante, dans la mesure où des coupes sont pratiquées dans la plaque de linoléum pour en éliminer des parties. J’ai trouvé intéressant d’utiliser des techniques opposées pour traiter un même sujet. Je voulais à la fois montrer la délicatesse et la cruauté.

Cette exposition fait partie du programme de la Journée/semaine internationale des droits des femmes à l’Université de la Réunion.

Un grand merci à Sylvie Giraudeau pour son soutien dans l’organisation !

Arabesques féminines

Série de dessins au fusain (2020)

PIED D’ESCLAVAGE
Delphine Ciolek, fusain, 2020

Fraîchement débarquée à la Réunion en 2017, je passe mes week-ends à me balader sur l’île. Rapidement, je suis intriguée par les arbres que je rencontre sur ma route. Dans les branchages, les troncs et les racines, je distingue des formes humaines. Des silhouettes féminines. Bras, jambes, ventres, poitrines, recouverts de branches, de mousses ou d’orchidées. Qui se tendent en arabesques, se crispent ou reposent sereinement. L’expérience se produit à plusieurs reprises : que ce soit dans les bas, à Saint Paul, à Saint Pierre, au Verger Rosthon, ou dans les cirques, à Aurère, à la Roche écrite, au Petit Bénare, à la Plaine des Tamarins, au Sentier Scout.

Non, je ne rêve pas, ce sont bien des femmes qui gisent là, em-murées ! Em-boisées, oserais-je dire. Comment diable sont-elles arrivées là ? Se seraient-elles abritées près de quelques arbres maléfiques qui les auraient alors absorbées ? Ou, cherchant à se cacher, auraient-elles demandé refuge à des pieds de bois protecteurs ? Mystère.

Je n’en dors plus la nuit. Un matin d’insomnie, je retourne au front de mer de Saint Paul voir l’un de ces arbres. Je l’observe longuement puis l’interroge. En vain. Afin de garder des traces de cette présence féminine, j’ai apporté mon carnet de croquis et des bâtonnets de fusain. Je tente de reproduire ce que je vois sous le soleil hivernal qui perce les nuages. Une fois les contours posés, je lisse les grains noirs avec douceur. Encore et encore.

A peine le dessin est-il terminé que j’entends une voix s’élever des branchages. Il n’y a pourtant personne autour de moi ! Une femme est bel et bien en train de me conter son histoire : un oncle incestueux, une grossesse non désirée… Pour échapper à son destin, elle a préféré s’enfuir. La voici à présent plantée dos à la mer, son ventre de jeune femme enceinte bien visible. Elle est bien en sécurité entre les fibres de bois.

Je reviens avec des amis dans la journée, mais l’arbre reste silencieux. Aurais-je subi une hallucination sonore ? Pour en avoir le cœur net, je retourne, seule, auprès de chacun des arbres « habités » que j’avais repérés. Après chaque dessin, les femmes cachées là me confient également leur secret : de l’esclave du XVIIIème siècle, qui a réussi à déserter les champs de canne les fers aux poignets, à la rebelle contemporaine, qui préfère tracer sa propre route en solo plutôt qu’être engluée dans le burn-out, en passant par la femme battue qui quitte son mari violent et s’écroule sans force. Cachées dans les arbres pour se protéger, elles ont fini par ne former plus qu’un avec leurs hôtes arborés. Créant ainsi de nouvelles espèces de pieds de bois*.

PIED DE VIOLENCE CONJUGALE
Delphine Ciolek, fusain, 2020

* Pied de bois : terme créole désignant un arbre

Arabesque : Ligne idéale, sinueuse, résumant le rythme essentiel d’une composition peinte, dessinée ou sculptée (définition Larousse)

Bustes coupés

Série de dessins au pastel sec (2018-2020)

D’APRÈS DERAIN
Delphine Ciolek, pastel sec, 2018

Un jour, une amie m’offre une belle boîte de pastels et un carnet de feuilles colorées, pour « exprimer ma créativité ». Oui, c’est vrai ça, je ne l’exprime pas souvent à l’époque. Je fais quelques dessins, des fleurs, des fruits, plutôt une représentation d’objets qu’un message particulier à faire passer.

Lors de la visite d’une exposition de peintures à Paris, je tombe sur une toile de Derain qui m’intrigue : Le Boa noir. Pourquoi celle-ci en particulier ? L’expression de la femme, tenant son boa d’une main et un chapeau de paille de l’autre, me semble bien difficile à décrypter. Elle se tient debout devant nous mais a l’air absente. Que peuvent bien signifier ces grands yeux ouverts et cette petite bouche ? A-t-elle vu quelque chose qu’elle ne peut pas nous dire ? Le mystère reste complet, alors je décide de la représenter sans son visage. Juste le buste, pas son corps entier. Le cou, la poitrine. Une respiration. Du tissu et des couleurs, cela me plaît.

Et c’est le début de ma série des Bustes coupés. Je recherche dans ma collection de photos d’autres peintures de femmes. Elles sont belles. Les grands peintres les ont choisies pour modèle, ce n’est pas pour rien ! Elles posent, en silence. Que pensent-elles, face à ces hommes qui les habillent, les dénudent, les maquillent, les coiffent à leur guise ? Pas un son ne sort de leur bouche. « Sois belle et tais-toi ! », c’est tout ce qu’on leur demande. D’un coup (sec) de pastel sec, leur corps prend une autre dimension.

D’APRÈS MUNCH
Delphine Ciolek, pastel sec, 2019

Regardez ces bustes coupés de plus près, et vous découvrirez peut-être les lourds secrets de la condition féminine. Par leur position, leur maintien, leur regard, leurs vêtements, elles contribuent certes à représenter un aspect du quotidien, mais, privées de la parole, sont-elles en mesure de témoigner réellement sur ce qu’elles vivent ? Quelles sont les raisons qui les conduisent parfois dans l’ennui, l’alcoolisme, la prostitution ?

Atteintes à la liberté morale ou physique : selon l’époque, le pays et le statut social, ces femmes n’ont que l’embarras du choix ! Illettrisme, enseignement domestique ou religieux, tutelle paternelle, mariage à l’âge d’une enfant, mariages arrangés, dépendance à l’égard du mari/chef de famille, interdiction d’avorter, cantonnement au foyer et à la sphère privée, interdiction d’exercer un métier, privation du droit de vote, violences conjugales, inégalités hommes-femmes au travail, harcèlement de rue. Sans oublier esclavage et mutilation génitale rituelle, dont on entend encore parler dans l’actualité…

Liberté, égalité, sororité !

D’APRÈS COROT
Delphine Ciolek, pastel sec, 2019

Sur le pont

« Sur le pont » est une série de gravures inspirées de mon séjour sur un navire de pêche scientifique en juillet 2017. A bord du « Thalia », navire océanographique de 24,50 mètres de la flotte IFREMER, j’ai non seulement participé à l’évaluation annuelle du stock de coquille Saint-Jacques (Pecten maximus) de la Baie de Seine, mais également fait le plein d’idées pour mes futures estampes marines.

Sur le pont, coquilles bleu
Delphine Ciolek, aquatinte et pointe sèche, 2017

Outre des coquilles, j’ai pu voir de nombreuses espèces : raies, pétoncles, crépidules, étoiles de mer, ophiures et même un Bernard-l’hermite !

Sur le pont, Bernard orange
Delphine Ciolek, aquatinte et pointe sèche, 2017

J’ai profité de cette série pour peaufiner ma technique en aquatinte. Ici, le détail d’anneaux d’une drague, engin de pêche à la coquille.

Sur le pont, anneaux sépia
Delphine Ciolek, aquatinte, 2017